Nos retours d’expérience après deux ans de travail en remote avec Kumbu.
Ce texte reprend le contenu légèrement édité de ma présentation éponyme lors du web2day, le 7 juin 2017
Bonjour, je m’appelle Ziad WAKIM, je suis l’un des fondateurs de Kumbu, et je suis ravi d’être avec vous aujourd’hui.
Au travers de Kumbu, je vais vous parler de divers aspects de ce qu’est notre expérience d’entreprise distribuée, et faire un tour d’horizon des question juridiques, culturelles, opérationnelles, je dirai aussi quelques mot des outils que l’on utilise, des risques et des avantages. Tout ça dans les 15mn qui restent avant d’aller déjeuner, alors en route!
Tout ce que je vais vous raconter est basé sur notre expérience avec Kumbu — Kumbu est une jeune startup, fondée en 2015, qui propose la boite à souvenir de l’ère numérique — si vous avez des souvenirs qui vous tiennent à coeur dans Facebook, Instagram ou WhatsApp, et que vous voulez les préserver, on est le service pour vous.
On est une équipe de 5 personnes, certaines sont dans la salle d’ailleurs, est depuis le début, on a fonctionné comme une entreprise distribuée. Aujourd’hui on est réparti un peu partout en France, la plupart du temps — mais parfois certains sont aux États Unis, en Argentine, au Canada ou ailleurs.
L’avantage, quand on crée une structure de zéro, c’est qu’on peut s’organiser de la façon la plus efficace pour chacun.
Pour démarrer, on n’est quand même pas parti de zéro, on s’est inspiré d’autres entreprises qui ont fait ça, et qui ont beaucoup écrit sur le sujet — 37 signals avec Rework, et aussi Buffer, qui est une entreprise distribuée et transparente, où l’on a été piocher pas mal d’astuces.
Si vous vous demandez si ça marche aussi avec des plus grosses structures, on trouve aujourd’hui des entreprises de toutes tailles qui fonctionnent comme ça — par exemple automattic, qui gère wordpress.com, et qui emploie près de 300 personnes, entièrement en mode distribués
Une diversité d’activités qui colle malgré tout à une approche distribuée
Il faut savoir que Kumbu n’est pas composée uniquement de développeurs — Arnaud s’occupe du Marketing, Anna de l’UX et du design, et Bart et Diane ne me laissent plus déposer de code depuis longtemps — même à 5, on a une diversité d’activités qui colle malgré tout à une approche distribuée.
Enfin, si vous êtes intéressés par des liens et des infos autour du remote working, je vous conseille une newsletter qui s’appelle « remotive » qui recense chaque semaine l’actualité autour de ce sujet
/!\ IANAL, Don’t take legal advice from the internet
Je vais démarrer ce tour d’horizon par les aspects juridiques. C’est le moins intéressant, mais c’est important quand même.
On est une boite française. On a beau être une entreprise distribuée, il faut quand même une adresse — ça c’est simple, il y a plein de services de domiciliation qui existent.
Ensuite, il y a la question de la gestion du temps de travail — selon les conventions collectives, c’est plus ou moins compliqué, mais l’idéal est de viser un truc qui ressemble à du forfait jour : chacun justifie son temps de travail, et travaille un certain nombre de jours dans l’année. C’est aussi possible de travailler de façon freelance avec des indépendants , mais pas si ça a vocation a être permanent — nous on a fait le choix des CDI pour tout le monde.
Le télétravail n’est pas un mode nomade
Le dispositif existant dans la loi française, c’est le télétravail. C’est un peu différent du travail en mode nomade: théoriquement, en télétravail, vous travaillez d’un endroit, pas de n’importe quel endroit. Mais ça s’approche suffisamment de nos usages pour convenir.
Enfin deux détails importants: Tout le matériel nécessaire pour le travail à distance est à la charge de l’entreprise: connexion internet, ordi, etc — et il faut s’assurer que chacun vive bien le télétravail au cours de l’entretien annuel. C’est marrant, car la loi n’oblige pas à s’assurer que les personnes qui travaillent dans un bureau vont bien dans l’entretien annuel, mais bon…
Allez on passe a des trucs plus rigolos, mais qui sont difficiles à saisir. Travailler en remote, c’est une autre culture. La culture de votre entreprise, si vous ne vous en occupez pas, elle vous tombe dessus malgré vous. Dans les principes qu’on a retenu chez Kumbu, et qui marchent plutôt bien, j’en citerai 4.
La culture de votre entreprise, si vous ne vous en occupez pas, elle vous tombe dessus malgré vous
Tout d’abord être explicite. Dire les choses clairement, avec des mots simple comme « oui », « non » , « j’ai pas compris », « qui le fait? » , « c’est pour quand » — Etre explicite, ça veut dire par fois être plus brutal — alors il faut adoucir la brièveté de ces formules, avec des emojis ou des images animées. Ça prend un peu de temps pour s’y habituer.
Ensuite, ne pas s’attendre — il faut savoir travailler de manière asynchrone, communiquer à travers les fuseaux horaires, ne pas perdre de temps à s’attendre. Ça implique aussi de se sentir autorisé à prendre des décisions quand il le faut, pour mettre en prod, changer le site, répondre à un utilisateur, sans s’attendre inutilement. Avoir confiance dans les autres et en soi, autoriser l’échec.
Il faut aussi être créatif — s’il y a une façon de faire qui ne fonctionne pas en remote, il faut trouver un moyen d’arriver au même résultat en faisant autrement — par exemple, on peut se dire que faire du brainstorming à distance, sans tableau blanc commun, ça marche pas vraiment — et mettre un tableau blanc virtuel ne résous pas vraiment le truc. Donc on fait autrement: quelqu’un prépare un peu plus, mène la conversation, rassemble les idées dans un google doc et au final on y arrive!
Enfin, il faut varier les lieux de travail: de chez soi, dans des espaces de coworking (comme la cordée, qui vient d’ouvrir à Nantes), dans des entreprises amies, des airBnB, etc — cette variété, ça permet de rester motivé, de rencontrer d’autres gens, d’avoir les bons cotés de la vie de bureau, sans les mauvais cotés.
Bon, comme la vie de bureau, la vie en remote a besoin de rituels — c’est ce qui nous permets d’être efficaces, mais aussi de rester en contact et de sentir qu’on travaille dans une même équipe, et pas « pour » une équipe.
Tous les jours, on se dit tous bonjour. C’est important, ça permet de signaler qui est là, de donner rapidement un statut, et de démarrer la journée ensemble. C’est un peu notre seul rendez vous obligatoire, quand on est dans les bons fuseaux horaires en tout cas. Ca a l’air tout bête, mais on s’est rendu compte que commencer une journée de boulot sans parler ou voir ses collègues, ben, dans la durée, ça motive pas beaucoup. On se discipline pour que ça ne dure pas plus de 15–20mn.
Dans la journée, on essaie de se tenir au courant de se qu’on fait quand c’est pertinent, et de passer à la vidéo le plus souvent possible. Parfois, on laisse la vidéo tourner et on passe la journée “ensemble” comme ça — en particulier les jours de releases, ou s’il y a des activités qui nécessitent beaucoup d’interaction — faut pas le faire tous les jours, mais de temps en temps, c’est assez efficace.
Une fois par semaine, en fin de semaine, on debrieffe de ce qui a marché et pas marché cette semaine, et on l’écrit dans un google document commun. Ca permet à ceux absents cette semaine de se mettre au courant, sans avoir à relire tous les messages du chat.
Tous les trimestres, environ, on essaie de se voir tous ensemble en réel. Certains d’entre nous se voient par ailleurs à d’autres moments, mais quand on se voit tous ensemble, on en profite en général pour faire un point sur notre façon de fonctionner — je pense que c’est l’un des facteurs clé de succès quand on travaille à distance, c’est d’avoir un espace pour discuter un peu franchement de ce qui marche, et de ce qui marche pas. Au fur est à mesure de l’avancée du projet, on a changé notre façon de travailler de manière à trouver l’équilibre qui nous convient.
Il est important d’avoir un espace ou chacun puisse critiquer ce qui ne lui convient pas
Je pense pas qu’il y ait une approche miracle qui marche pour tout le monde, mais je pense qu’il est important d’avoir un espace ou chacun puisse critiquer ce qui ne lui convient pas — et ça se travaille dans la durée. Il y a des moments ou ce genre de réunion prend 10mn, mais c’est quand même nécessaire, car ça permet aux plus timides de se dire “a ben tien, je peux quand même donner mon avis” ou “je suis pas complètement satisfait d’un truc”. Les moments où l’on se voit dans le monde réel sont plus propices à ça, car se sont toujours des conversations un peu maladroites, et qui passent quand même mieux en vrai.
Bon pour que ces rituels se mettent en place, et soient efficace, il faut des outils. C’est une question qu’on nous pose souvent, alors avant d’entrer dans les détails, je voudrais préciser deux points: tout d’abord, les outils ne sont utiles que si on a des processus clairs, et des conventions communes pour les utiliser. Ensuite, peu importe les outils, du moment qu’il remplissent leur fonction. Je vais vous parler de ceux qu’on utilise, mais il y a des équivalents tout à fait performants ailleurs — nous même, on a mis un certain temps à se stabiliser sur ces outils, et on n’est pas marié avec — si l’un d’entre eux cesse d’être performant, on le change.
Le premier outil qu’on utilise, c’est slack — c’est une application de chat, plutôt bien organisée pour l’entreprise. Slack, c’est un peu le “bureau” pour nous — quand je me connecte à slack, j’ai l’impression d’arriver au bureau. ça permet de se poser des questions de façon asynchrone, de bavarder, ou de trouver des solutions à des problèmes ensemble. C’est aussi pratique pour partager des documents, et les retrouver (ou retrouver ce qu’on a dit il y a 2 mois sur un certain sujet).
Dès que ça devient compliqué de se comprendre sur slack, on passe à la video — on utiliser appear.in, qui est un service gratuit (il y a une version premium maintenant), qui fonctionne bien à 2, et assez bien jusqu’à 6 personnes. L’avantage d’appear.in, c’est que ça fonctionne sur toutes les plateformes, et qu’on peut partager son écran. C’est là où l’on tient nos réunions, nos statuts quotidiens, mais aussi les réunion de travail, ou les activités “en paire”, que ce soit pour la programmation ou pour l’écriture. Quand on a besoin d’enregistrer la réunion, on utilise zoom.us, qui a une version gratuite pour les réunion inférieure à 40mn, ce qui est idéal pour nous.
Ce qui se passe dans slack, ou dans appearin, n’a souvent pas vocation à perdurer — mais si on prend des décisions, ou qu’on a besoin de se fixer des deadlines, on utilise Asana. Asana, c’est à la fois un système de gestion des tâches, et un substitut au mail. C’est un assez gros outil, donc pour se l’approprier, on s’est fixé des conventions, qui sont venues avec l’usage. Je dirais qu’on n’utilise peut être que 30% des fonctionnalités d’asana, délibérément — mais ça nous fait gagner énormément de temps. C’est là où l’on planifie nos releases, et où l’on trace toutes les décisions de l’entreprise. ça nous a pris quelque mois pour arriver a en avoir un usage qui nous convenait, mais aujourd’hui on aurait du mal à s’en passer. Pour moi c’est l’exemple même de l’outil dont il faut sérieusement questionner l’usage avant de s’y mettre — ça nous convient, mais ça fonctionne peut être pas bien pour d’autres. Je dirais que pour en tirer le plus parti, il faut que ça devienne le lieu unique où réside “la vérité” sur ce qu’il y a à faire. Si c’est fragmenté dans plein d’endroits, c’est beaucoup moins utile.
Enfin, il y a les outils de google: le drive, où l’on partage des documents, des assets, etc, et google docs, qu’on utilise beaucoup pour figer de l’information: des specs, des idées, etc — on fait pas vraiment de compte rendus de réunions dans google doc, on met plutôt directement des actions dans asana, mais google doc reste un outil très efficace pour travailler en commun.
Et puis il y a les outils spécialisés, pour que chacun fasse son boulot, je vais pas tous les citer mais il y en a deux qui rendent vraiment la vie plus facile: GitHub, qui nous permet de faire des code review, et invision, pour partager les design et les prototypes.
Il y a 8 ans, je travaillais dans un bureau, et il y avait deux outils dont je ne pensais pas un jour pouvoir me passer: L’e-mail, et la suite microsoft office. Aujourd’hui c’est deux outils que je n’utilise que très occasionnellement — Je pense que même s’il ne faut pas fétichiste les outils, l’évolution des outils de productivité a vraiment permis de pouvoir se mettre à travailler de manière distribuée.
Bon, je ne voulais pas au cours de cette présentation ne parler que de choses positives. Il y a aussi des limites au mode de fonctionnement distribué, certaines que nous rencontrons déjà, d’autres qu’on anticipe.
Même si les questions de santé mentale émergent de plus en plus, ça reste quelque chose de difficile à aborder, et encore plus de detecter à distance
La première, c’est de se faire une bonne idée de l’état des troupes. Travailler pour une startup, c’est épuisant — et même si les questions de santé mentale émergent de plus en plus, ça reste quelque chose de difficile à aborder, et encore plus de detecter à distance. J’ai tendance du coup à sur-communiquer sur le sujet — à la moindre intuition, je prend mon téléphone et on en parle — pareil, c’est parfois maladroit, mais appeler les gens pour leur dire “j’ai l’impression que ça ne va pas trop”, ben des fois, c’est nécessaire. Et vaut mieux prendre le risque de le faire pour rien, que d’être dans le déni. La souffrance au travail, le burn-out, etc, c’est pas l’apanage des grandes entreprises ou de ceux qui travaillent dans un bureau.
Ensuite, on peut être moins performant, moins productif par moments. C’est pas inhérent au remote, ça arrive dans tous les contextes de boulot. Mais s’en rendre compte à distance c’est là aussi plus compliqué, et dans notre cas, on fait le choix de la confiance aux gens pour le reconnaitre d’eux mêmes.
C’est quand même plus sympa d’être accueilli en chair et en os, que par visioconférence
Une autre difficulté, c’est le recrutement, et surtout de gérer l’arrivée des nouveaux. On essaie souvent de faire coïncider ça avec un moment où l’on se retrouve tous au même endroit — c’est quand même plus sympa d’être accueilli en chair et en os, que par visioconférence. Mais du coup, plus on recrute, plus ça devient compliqué.
C’est d’ailleurs une des questions qu’on se pose — plus on est nombreux, plus les coûts de se retrouver augmentent — bon pour nous c’est pas encore un souci, on est 5, bientôt 6, donc ça reste gérable. Mais si vous allez voir par exemple le blog de buffer, dont je vous parlais un peu plus tôt, passé 70 personnes, réunir tout le monde devient vraiment couteux. C’est du coup plutôt quelque chose à séparer entre des réunions d’équipes (pour lesquelles se voir 2 ou 3 fois par an est un minimum à mon avis), et des réunions globales par exemple tous les deux ans…
Enfin, quand on travaille à distance, on est plus facilement seul.e — on rencontre moins de gens, et on peut se sentir rapidement isolé.e. Nous on équilibre cela en variant les lieux de travail ou les coworkings, mais aussi en participant activement aux Meetups, rendez-vous et évènements dans nos régions — car ça reste important de sentir qu’on fait partie d’une communauté, et aussi de partager ses succès, mais aussi ses questionnements, doutes, etc avec des pairs.
Fin de la partie négative. Etre une entreprise distribuée a plein d’avantage. Tout d’abord, ça permet à chacun un meilleur équilibre vie privée/vie professionnelle. On est plus productif, et on a plus de temps de travail effectif, surtout qu’on diminue (ou on annule) le temps de trajet pour aller au boulot. Chacun est plus satisfait de son travail — lorsque j’interroge mon équipe sur le télétravail, j’entends plusieurs fois revenir la phrase “je crois que je ne pourrais plus, maintenant travailler dans un bureau”, y compris chez ceux pour qui c’est leur premier emploi !
Aussi, à notre stade de développement et en phase de croissance, le remote est un avantage en terme de coûts : c’est plus avantageux que d’avoir un bureau sur Paris par exemple, ou de devoir gérer des déménagements et des frais fixes.
Enfin c’est malgré tout un vrai atout pour le recrutement. ça permet de recruter des talents où qu’ils soient, et en s’affranchissant de la contrainte géographique, de plus facilement recruter des profils un peu différents de ceux qu’on aurait si on était tous au même endroit.
En synthèse, après deux ans en remote, nous somme complètement satisfaits, à la fois car ça nous permet d’avoir des vies plus satisfaisantes, que ce soit pour s’occuper de nos enfants pour les plus âgés, et de voyager à travers le monde pour les plus jeunes; mais aussi car ça nous donne un boulot plus intéressant, centré sur la productivité, et avec moins de pertes de temps que dans la vie de bureau.
Merci pour votre attention, s’il y a des questions, je serais ravi d’y répondre, sinon venez nous parler pendant le web2day, on est là jusqu’à vendredi matin !
Il me reste quelques minutes pour une page de pub: si ce qu’on fait vous intéresse, allez voir sur getkumbu.com, inscrivez vous, c’est gratuit, et dites-nous ce que vous en pensez ! On compte sur vous.
Applaudissements polis et eclipsage discret pour aller déjeuner
Je suis Ziad Wakim CEO & co-fondateur de Kumbu — la boite à souvenir de l’ère numérique. N’hésitez pas à partager cet article s’il vous a plu, merci !!